4

L’entrée du commandant Thouti dans son bureau réduisit au silence les spéculations sur la raison de cette convocation. Les douze officiers rassemblés entre les quatre colonnes rouges soutenant le plafond reculèrent pour lui ménager un chemin jusqu’au fauteuil vide, contre le mur du fond.

Neboua se pencha vers Bak et lui murmura :

— Où est Imsiba ?

— Je l’ai envoyé à Iken, expliqua Bak sur le même ton. Il est parti à l’aube et devrait être de retour avant la nuit.

— Tu es rusé comme un chacal ! dit Neboua en souriant. Lui as-tu bien recommandé de chanter tes louanges au chef de garnison ?

— Simplement de lui poser des questions.

Bak tourna la tête vers le commandant et une colère née de la frustration perça dans sa voix :

— Si je dois élucider la mort de Pouemrê, autant ne pas être dans le noir le plus total en arrivant à Iken.

Thouti passa derrière le fauteuil et posa les mains sur le dossier pour annoncer :

— Un messager est arrivé du Nord il n’y a pas une heure. Si cette belle brise se maintient, Amon entrera à Bouhen aujourd’hui même, en milieu d’après-midi.

À cette nouvelle, des murmures animés résonnèrent dans la pièce. Même Bak, qui avait atteint l’âge d’homme tout près du temple du dieu dans la capitale, n’y fut pas insensible. Sa joie fut bientôt ternie par le regret, puis par la consternation. Imsiba ne reviendrait pas à temps pour contempler la procession sacrée. Et cette arrivée prématurée ne laissait plus que quatre ou cinq jours avant qu’Amon pénètre dans Iken. Bak pouvait-il espérer découvrir le meurtrier en un si court laps de temps ?

Thouti leva la main pour réclamer le silence.

— Je suppose que vous avez tous exposé à vos hommes ce que j’attends d’eux lorsque la nef sacrée accostera ?

— Oui, chef, répondirent en chœur les officiers.

— J’ai rarement vu autant de pagnes et de boucliers séchant au soleil ! chuchota Neboua. Les toits en sont jonchés, comme les abords du fleuve quand une armée de retour du désert court plonger dans l’eau.

Un autre officier remarqua en riant :

— Mes hommes ont tant poli leurs fers de lance qu’ils en sont émoussés.

Bak souriait machinalement, l’esprit ailleurs. Depuis qu’il assurait le commandement de la police medjai, il avait arrêté trois meurtriers. Deux avaient été faciles à prendre, ayant agi sous le coup de la colère et étant trop affolés par leur offense contre Maât pour effacer leurs traces. En revanche, il avait fallu des semaines pour élucider la troisième affaire, où la victime était le prédécesseur de Thouti. Si l’assassin de Pouemrê courait encore, il en irait probablement de même cette fois-ci.

La voix de Thouti, aussi dure que le granit, interrompit le cours de ses pensées :

— Aux yeux de notre souveraine, Maakarê Hatchepsout, nous qui occupons les garnisons de Ouaouat ne sommes guère plus que les gardiens des objets précieux transitant vers le Trésor royal. Le premier prophète ne nous tient pas en plus haute estime. Je ne vous répéterai jamais assez l’importance d’accueillir Amon et sa suite d’une manière seyant à sa position élevée parmi les dieux. Me suis-je fait clairement entendre ? demanda-t-il, regardant tous les visages l’un après l’autre.

Les officiers, Bak inclus, répondirent comme un seul homme :

— Oui, chef !

Mais on sentait dans leur voix la surprise suscitée par la franchise du commandant. L’indifférence de la reine envers l’armée était une source d’irritation constante et faisait beaucoup chuchoter, bien qu’elle fût rarement commentée au grand jour. Hatchepsout tenait les rênes du pouvoir. Mais pour combien de temps encore ? Cette question ouvrait la voie à toutes les conjectures. Son neveu et beau-fils, Menkheperrê Touthmosis, avait hérité la couronne de son père alors qu’il n’était encore qu’un petit enfant. Non contente de s’instituer régente, Hatchepsout était montée sur le trône. Beaucoup croyaient que l’héritier, désormais âgé de seize ans, devait reprendre la place qui lui revenait de droit. Celui-ci ne livrait rien de ses projets, mais, quelques années plus tôt, il avait entrepris de réorganiser l’armée afin d’en faire une force compétente et loyale.

Thouti considéra longuement ses officiers comme pour s’assurer qu’ils avaient compris, puis il prit place dans son fauteuil. Il restait à débattre de la répartition des troupes pendant le séjour d’Amon à Bouhen.

Bak refusait de céder au découragement qui menaçait de le submerger. Certes, ses chances de capturer le meurtrier à temps pour escorter le dieu semblaient bien minces, néanmoins il se promit de tout tenter pour y parvenir. La seule piste qui s’offrait à lui pour l’heure était Seneb et les malheureux enfants que le marchand avait amenés du sud. Il commencerait donc par là.

 

Une porte claqua à l’extrémité du vieux corps de garde, puis une lourde barre de bois fut remise en place avec un choc sourd, et le prisonnier se retrouva enfermé dans sa cellule.

— Le fils de serpent ! gronda Bak dans la minuscule pièce aux murs nus où il était assis.

Peu d’hommes lui inspiraient autant de dégoût, mais plus il voyait Seneb, plus il était convaincu que le marchand était aussi innocent de la mort de Pouemrê que coupable d’une cruauté sans bornes envers toutes les créatures qu’il avait achetées et vendues au fil des ans.

Quelque part dans l’édifice, Bak entendit des rires et le choc métallique produit par des lances. L’arôme de lentilles aux oignons provenant du toit ne couvrait pas tout à fait une odeur aigre de vomi, souvenir d’un boulanger mort d’indigestion dans la pièce voisine. Midi était à peine passé, Amon n’arriverait pas avant encore deux ou trois heures, et déjà les excès de ripailles faisaient leurs premières victimes.

Bak se leva brusquement de son tabouret, qui chut sur le sol de terre battue, et alla ouvrir une porte en bois toute déjetée. Au grincement qu’elle produisit, sept paires d’yeux sombres et soupçonneux se tournèrent vers lui. Les enfants de la caravane étaient assis par terre en demi-cercle, lavés, leurs cheveux crépus propres et coupés, et leurs plaies pansées. Le Medjai massif assis devant eux était si absorbé par ses efforts maladroits pour parler leur langue qu’il mit un moment à remarquer son supérieur.

— Ont-ils dit quelque chose, Psouro ? voulut savoir Bak.

— Pas un mot. Chaque fois que je quitte la pièce, ils jacassent comme des pies, si vite que je n’y comprends rien. Et dès que je reviens, on dirait que leurs lèvres sont scellées avec de la glu.

Bak n’en fut pas surpris. Ces enfants-là avaient trop appris la méfiance. Il les étudia un par un, cherchant une fêlure dans leur mur de silence. Chaque visage se fermait sous son regard, chaque petit corps se raidissait d’appréhension. C’est alors qu’il remarqua le tatouage entre les sourcils de la plus âgée, un triangle soutenant un minuscule croissant blanc. La tête d’un taureau, l’un des dieux de Kouch. L’enfant avait grandi au sein d’une famille pieuse. Avait-elle appris à respecter les divinités autres que les siennes ?

Priant pour qu’il en soit ainsi, il demanda à Psouro :

— Ces enfants savent-ils qu’Amon vient aujourd’hui à Bouhen ?

— J’en doute, chef, répondit le Medjai en haussant les épaules. Pas un seul d’entre eux ne connaît notre langue.

Bak hocha la tête, satisfait.

— Parle-leur de sa visite. Souligne sa grandeur, sa chaleur et sa bonté, sa générosité envers ceux qui vénèrent les dieux étrangers.

Il parlait par à-coups, élaborant une stratégie au fur et à mesure, et reprenait espoir en sentant le plan se former dans son esprit.

— Dis-leur qu’ils seront bientôt envoyés à Ouaset, notre capitale, où ils serviront les prêtres du plus grand temple du dieu. Ensuite, n’aborde plus le sujet, mais recommence à les questionner. Pendant ce temps, je vais trouver Hori et te l’envoyer. Ensemble, vous emmènerez ces enfants au sommet de la forteresse, afin qu’ils puissent contempler Amon de leurs propres yeux. La jeunesse et la bonne humeur d’Hori aidant, peut-être le dieu pourra-t-il leur délier la langue.

 

Bak traversa la salle d’audience – la plus spacieuse de la résidence du commandant – au plafond supporté par une forêt de colonnes rouges octogonales. Hori était parti en trombe dans le corps de garde, aussi animé à l’idée de jouer les policiers pendant quelques heures qu’à celle d’observer l’arrivée d’Amon du haut du mur d’enceinte. « À défaut d’autre chose, j’aurais au moins fait un heureux aujourd’hui », songea Bak avec un sourire dépité.

La salle et les antichambres adjacentes bourdonnaient de vie. Un très jeune scribe, debout devant le bureau de Thouti, expliquait à un sergent grisonnant la nécessité de consigner le montant exact des dépenses plutôt que de vagues estimations. Assis sur un banc attenant au mur, un potier aux mains et aux bras constellés d’argile séchée écoutait un scribe bedonnant au front chauve lui vanter la beauté de vases délicats venus de Keftiou[5] dont il désirait des copies. Près de la sortie, un jeune archer dictait une lettre au scribe public, un homme entre deux âges et à l’air las.

Bak était surpris que tant de gens continuent à vaquer à leurs occupations. Alors qu’Amon n’était pas attendu avant deux bonnes heures, la populace avait commencé à affluer peu après midi aux portails coiffés de tourelles qui menaient vers le fleuve et sur les quais. Les Medjai et les lanciers prêtés par Neboua en renfort avaient déjà interrompu trois rixes, emprisonné une demi-douzaine d’ivrognes querelleurs et deux ou trois voleurs.

Saluant le scribe d’un signe du menton, le policier passa dans un long couloir étroit. Les murs avaient été peints en jaune, vaine tentative pour donner une illusion d’espace et de lumière. Une grande silhouette sombre venait rapidement à sa rencontre.

— Imsiba ! Je craignais que tu ne rates l’arrivée d’Amon ! s’écria Bak en prenant le Medjai par les épaules comme s’il s’était absenté un mois, et non quelques heures. Comment se fait-il que tu rentres si tôt ? Que s’est-il passé à Iken ?

Un vieillard ratatiné franchit la porte de la salle d’audience en boitant. Bak et Imsiba se replièrent vers l’escalier conduisant aux appartements du commandant, au deuxième. La lumière filtrait de la cour découverte qui s’étendait au-dessus. Une poussière pâle, striée par la sueur, marbrait le grand Medjai de la tête aux pieds.

— Eh bien ? demanda Bak.

Imsiba s’affala sur la première marche.

— Le commandant d’Iken, Ouaser, ainsi qu’il se nomme, m’a reçu sans tarder. Je savais que tu attendais mon rapport avec impatience, aussi je ne suis resté à la caserne que le temps d’avaler quelque chose et d’écouter les rumeurs locales.

— A-t-on arrêté le meurtrier de Pouemrê ?

— Pas encore, répondit le Medjai, dont le sourire s’effaça.

— Je vais donc devoir me rendre à Iken.

— Le commandant Ouaser pense que tu emploieras mieux ton temps en arrachant la vérité au vil marchand Seneb.

— Ne lui as-tu pas exprimé mes doutes à cet égard ?

— Si.

Un rire d’enfant résonna au sommet de l’escalier. Une fillette nue, qui n’avait pas plus de deux ans, les fixait de ses yeux sombres en suçant son pouce.

— Filons d’ici avant que toute la progéniture de Thouti ne fonde sur nous ! décida Bak. Nous irons au fleuve, ajouta-t-il en considérant son ami d’un œil critique. Tu pourras te baigner avant l’arrivée de la nef sacrée.

Quand ils furent dans la rue, devant la résidence, Bak relança la conversation :

— Et pendant que nous perdrons notre temps avec Seneb, comment le commandant Ouaser emploiera-t-il le sien ?

— Ses officiers se pencheront sur cette affaire. Selon lui, ils n’auront aucun mal à découvrir l’identité du tueur.

— Ouaser est bien sûr de lui…

Bak s’interrompit, scrutant Imsiba.

— Penses-tu qu’il a deviné de qui il s’agit et n’a donc qu’à intervenir en conséquence ?

— Je ne pense pas qu’il soupçonne quelqu’un en particulier. Le lieutenant Pouemrê n’a pas toujours dirigé une compagnie d’infanterie. Il y a cinq mois, lorsqu’il s’est présenté à Iken, il a été chargé de l’inspection, comme ce porc de Seneb nous l’a dit. Il n’est resté à ce poste qu’un mois. Sa dureté lui a valu nombre d’ennemis parmi ceux qui cherchent à frauder ou à profiter de leur prochain.

Bak se rembrunit à cette nouvelle. Si le meurtrier était un caravanier, on mettrait des mois à le retrouver – et encore, avec de la chance !

Ils se dirigèrent vers le portail qui donnait sur le quai, tout au bout de la rue. Au-dessus de la muraille derrière eux, le dieu solaire Rê baignait les baraquements et les tours d’une lumière crue qui blessait les yeux. La voie était presque déserte. Seuls quelques retardataires – une femme et son nourrisson, deux soldats, un scribe – marchaient précipitamment vers la foule qui se pressait de l’autre côté. Un prêtre, en robe blanche et le crâne rasé, allait d’un pas pressé vers la demeure du dieu de la garnison, l’Horus de Bouhen, qui dominait la cité de son tertre, au coin de la citadelle.

— Ainsi, c’est réglé, mon ami ! conclut Imsiba, le sourire aux lèvres. Le problème n’est plus de notre ressort et tu pourras escorter Amon à Semneh, comme de juste.

Bak ramassa machinalement une pierre de calcaire à la blancheur laiteuse, sur le bord de la route.

— Ouaser ne veut pas d’aide, c’est évident.

— Il sert à Ouaouat depuis des années ; il connaît cette terre et sa population bien mieux que toi et moi.

Imsiba adressa un signe de la main à un soldat qui les observait du bord d’un toit, puis reprit :

— Il est sûr d’arrêter le meurtrier tôt ou tard et prépare un rapport en ce sens pour Thouti.

Les arguments du commandant d’Iken paraissaient assez fondés, Bak devait l’admettre. Pourtant, si nombreux que soient les hommes s’exprimant avec assurance, bien rares étaient ceux qui ignoraient l’échec.

— Et qu’en est-il de la boucle de ceinture ?

— À son arrivée à Ouaouat, le lieutenant Pouemrê sortait tout droit du régiment d’Amon.

Le Medjai eut soudain le visage amer de celui qui attise le feu qu’il espérait éteindre, et qui le sait.

— Le commandant Ouaser me l’a lui-même confirmé, sans préciser, toutefois, combien de temps Pouemrê était resté dans ton régiment.

— Sûrement pas plus de quelques semaines ! Il y a dix mois que j’en suis parti. Enlevons les cinq mois qu’il a passés ici, plus le temps nécessaire au voyage depuis Ouaset…

Il secoua la tête, écœuré.

— Pas étonnant que Ouaser l’ait d’abord affecté à l’inspection !

— Il avait probablement reçu sa formation dans un autre régiment. À ce qu’en disent les soldats qui se sont battus à ses côtés dans la région, il était expérimenté dans les arts de la guerre et affrontait l’ennemi sans peur.

— Néanmoins…

Bak, parvenant à la seule conclusion possible, fit la grimace.

— Quelle position son père occupe-t-il sur la terre de Kemet ?

— Je sais seulement qu’il se nomme Nehsi. Mais j’ai entendu chanter les louanges du lieutenant Pouemrê pour son courage et sa volonté d’être l’ami de ses hommes, en dépit de sa noble naissance.

— Nehsi… Ce nom ne me rappelle rien, mais s’il s’agit d’un haut personnage…

Bak n’avait pas besoin d’en dire plus. Il faudrait un rapport éminemment persuasif pour dissuader Thouti de l’envoyer à Iken.

Il retourna entre ses doigts le fragment de calcaire et contempla les minuscules cristaux qui scintillaient au soleil. Pouemrê avait eu un point commun avec cette pierre aux multiples facettes. Il ne montrait jamais deux fois le même visage. Noferi l’avait admiré et Seneb continuait à le haïr jusque dans la mort. Il avait conquis l’estime de ses soldats, ce qui n’était pas chose facile, pourtant il arborait un emblème auquel il n’avait aucun droit, et il avait très probablement atteint son rang grâce à l’influence de son père.

— Quand a-t-on découvert la disparition ?

— Le sergent Minnakht l’a signalée le matin de l’après-midi où nous avons découvert son corps.

Bak était accoutumé à la manière indirecte dont Imsiba s’exprimait parfois, mais il dut réfléchir pour donner un sens à ces mots.

— Soit deux jours avant que tu informes toi-même Ouaser que nous l’avions retrouvé. Deux jours entiers sans qu’il envoie de message à Thouti ! Comment s’en explique-t-il ?

— Il ne s’est pas justifié et ce n’était pas à moi de l’interroger. Ne peux-tu fermer les yeux sur cette légère négligence ? demanda Imsiba, adressant à Bak le même regard lourd de tristesse qu’auparavant. Tu serais beaucoup plus heureux en nous conduisant, tes hommes et moi, dans la garde d’honneur d’Amon-Psaro, qu’en passant tes journées à Iken.

Bak refusa d’admettre, même dans le secret de son cœur, combien il était tenté de céder à la requête d’Imsiba. Il entraîna le Medjai loin de la rue pavée, à l’arrière du corps de garde. Le terrain sablonneux était encombré de matériaux de construction : briques séchant au soleil, planches de longueurs variées, quelques dalles de pierre. Bak jeta la pierre, se frotta les mains pour se débarrasser de la poussière et s’assit sur une pile de bois.

— Si Ouaser néglige de signaler la disparition d’un officier de noble extraction, quelles autres omissions commettra-t-il encore ?

— Ses soldats le tiennent pour un homme digne et honorable. Il accomplira son devoir.

— Crois-tu ?

La déception plissa le front d’Imsiba.

— Sans toi, mon ami, mes hommes et moi serions encore considérés avec méfiance, comme lorsque nous sommes arrivés pour la première fois à Bouhen. Maintenant qu’est venue l’heure où l’on nous accorde la place d’honneur, tu dois marcher à notre tête. Si tu n’es pas là, notre triomphe perdra tout son prix.

Une fois de plus, Bak se sentit tenaillé entre des désirs contraires.

— Tu sais combien j’aimerais être à vos côtés ! Mais je tiens également à remplir mon devoir, et si cela suppose d’aller à Iken, j’irai.

Imsiba se dandina d’un pied sur l’autre, malheureux de cette décision. Bak se leva de son tas de bois et s’efforça de le rassurer :

— Je peux te promettre une chose, mon frère : je mettrai tout en œuvre afin d’élucider ce meurtre au plus vite. Avec de la chance, Amon me sourira et je serai libre lorsqu’il parviendra à Iken. Maintenant, conclut-il en tapant son ami sur l’épaule, va plonger dans le fleuve.

Imsiba hocha la tête à contrecœur avant de descendre la rue vers le portail. Bak ramassa le caillou et le jeta de toutes ses forces contre le mur en brique crue qui soutenait le tertre du temple d’Horus. Un petit nuage de poussière monta de la minuscule empreinte creusée dans la paroi. Avec suffisamment de temps et de fragments de pierre, on aurait pu mettre les fondations à nu. Bak pria afin de rassembler assez de fragments de vérité pour mettre à nu le visage du meurtrier, et afin de marcher dans l’escorte du dieu comme il l’avait promis à Imsiba.

 

Bak attendait avec les autres officiers sur l’esplanade de pierre dominant le fleuve. Ses yeux, comme ceux de chaque homme, de chaque femme et de chaque enfant de Bouhen, étaient rivés sur la nef d’Amon, amarrée devant le pylône du temple d’Horus. La longue coque effilée, l’estrade surmontée d’un dais au milieu du navire et la barque portative qu’il ombrageait, brillaient de tous leurs feux sous le soleil implacable de ce milieu d’après-midi. Le seigneur Amon – une statuette haute d’une coudée, en or massif, figurant un homme à la silhouette mince et élégante – se dressait à l’intérieur d’une châsse d’or dans sa barque sacrée. Tandis que les prêtres en robe blanche accomplissaient les rites à bord, la nef se balançait doucement sur l’onde ; les têtes de bélier peintes de couleurs vives, sculptées sur la proue et sur la poupe, s’élevaient et descendaient à l’unisson.

Bak ferma les yeux et attendit que l’éblouissement causé par tant de splendeur s’estompe sous ses paupières. Ayant passé son adolescence dans la capitale, il avait vu le dieu dans sa châsse en maintes occasions. Ce spectacle n’avait jamais cessé de l’émouvoir, néanmoins il n’éprouvait plus la crainte révérencieuse de ceux qui contemplaient pour la première fois le plus grand de tous les dieux.

Retrouvant sa vue, il scruta le fleuve, les quais et les berges noirs de monde pour repérer ses hommes et d’éventuels fauteurs de troubles. Les marins du grand vaisseau de guerre qui avait halé la nef à contre-courant jetaient les amarres à l’autre bout du quai. Une flottille de petites embarcations s’était portée à la rencontre du dieu et regagnait peu à peu la rive. Au loin, un second vaisseau de guerre virait de bord, se préparant à accoster. Le battement profond du tambour qui donnait la cadence aux rameurs s’élevait par intermittence au-dessus des commentaires animés des badauds. Les policiers medjai, leurs lances rutilantes sous la lumière ardente, déambulaient parmi la foule pour apporter de l’aide le cas échéant et pour prévenir tout désordre.

Satisfait de voir que tout se passait bien, Bak reporta son attention sur le quai. Le commandant Thouti, le prêtre de l’Horus de Bouhen et trois princes indigènes vêtus de couleurs éclatantes attendaient devant la nef, prêts à accueillir Amon et sa suite. Tous arboraient de larges colliers de perles multicolores, des bracelets d’or ou de bronze aux poignets et aux bras, des bagues serties de pierres précieuses. Tous, hormis les prêtres, étaient équipés de boucliers flambant neufs, et d’armes dont l’éclat rivalisait avec celui du soleil. Une douzaine de soldats et de scribes, rasés et purifiés afin d’assister le dieu et ses représentants, se tenaient auprès d’eux.

Des bannières rouges, suspendues en haut du pylône à de grandes hampes de bois, frémissaient sous la brise capricieuse. Bak aurait aimé qu’un léger souffle d’air descende rafraîchir l’esplanade écrasée par le soleil et dissipe l’odeur de corps trop nombreux, trop pressés les uns contre les autres.

Un cri furieux monta d’un peu plus bas :

— Petits vauriens !

— Eh ! Vous vous croyez où ? vociféra quelqu’un d’autre.

Le policier se pencha par-dessus le parapet, qui lui arrivait au niveau de la taille. Cinq petits garçons, les mains jointes pour former un serpent, se traçaient un chemin sinueux à travers la foule bien trop dense pour de telles espiègleries. Bak modula un sifflement. Un Medjai qui faisait sa ronde arriva en courant. En quelques secondes, le serpent fut démantelé, les gamins réprimandés et les adultes apaisés.

Lorsque Bak reporta son regard sur la nef sacrée, le prêtre principal, paré d’une robe blanche de lin fin, d’un pectoral et de bracelets d’or, agitait son encensoir une dernière fois. Sous le dais, des prêtres subalternes soulevèrent la barque divine, version miniature de la nef. Ils placèrent les bras de transport sur leurs épaules et suivirent le prêtre en chef le long de la passerelle, balançant avec précaution la précieuse charge au-dessus d’eux. Au moment où leurs pieds touchèrent le quai, des cris de joie éclatèrent parmi les spectateurs, qui jouaient des coudes pour mieux voir. Les vivats s’amplifièrent en une clameur immense qui fit prendre son envol à un groupe de pigeons. Bak leva la tête vers les créneaux et sourit. Au sommet de la tour la plus proche, Psaro, Hori et sept enfants aux yeux émerveillés contemplaient le dieu avec fascination.

Le prêtre en chef, suivi des prêtres de l’Horus de Bouhen, du commandant, puis des princes de la région, conduisit la procession le long du quai. Derrière eux, deux prêtres purifiaient le chemin pour Amon au moyen d’encens et de libations ; d’autres ombrageaient la châsse sous des éventails en plumes d’autruche. Les soldats de Bouhen portaient des coffres dorés contenant les objets rituels, les parures du dieu et des étendards bariolés symbolisant Amon, Horus et les autres dieux importants de Ouaouat. Lorsqu’ils approchèrent, Bak vit remuer leurs lèvres, mais leur chant se perdait dans les acclamations des fervents adorateurs. Il se surprit à crier avec eux et sentit son cœur se dilater de vénération.

La procession atteignit le pylône, entourée de volutes d’encens. Bak se pencha par-dessus le parapet afin d’apercevoir ses camarades. Le prêtre en chef agita son encensoir en direction du peuple massé de l’autre côté du quai, puis se tourna pour l’agiter vers Bak et ceux qui se tenaient sur l’esplanade. Une fumée âcre flottait autour de son visage ridé et émacié. De stupeur, Bak faillit basculer par-dessus le muret. Il connaissait le prêtre en chef depuis sa plus tendre enfance. C’était le médecin Kenamon, le maître et l’ami de son père, lui-même médecin.

Kenamon se fondit parmi les compatriotes de Bak, et la barque sacrée parut quelques instants naviguer au-dessus des têtes avant de disparaître par les portes du pylône.

Bak songeait à Kenamon. Cet homme avait soigné les maux de ceux qui fréquentaient les antichambres de la maison royale. Si le père de Pouemrê appartenait à la cour, Kenamon le connaîtrait.

 

— Mon fils ! Mon cœur s’emplit de joie en te retrouvant, dit Kenamon, étreignant Bak aux épaules de ses longs doigts osseux. Cela fait… combien de temps, déjà ?

— Moins d’un an, répondit le lieutenant en adressant au prêtre un sourire chaleureux. As-tu si vite oublié, mon oncle, la nuit où j’ai perdu tout bon sens dans la maison de bière de Tenethat ?

Le vieillard, tellement petit et frêle qu’on aurait craint de le voir emporté par la brise la plus légère, pouffa joyeusement de rire :

— Ah oui ! Cette fameuse nuit où tu as attiré l’attention sur le comportement plus que douteux de certains favoris de notre souveraine…

Les yeux écarquillés avec un effroi exagéré, une main plaquée sur sa bouche, il scruta les longues ombres du soir comme si un espion était tapi derrière l’une des colonnes cannelées qui entouraient l’avant-cour du sanctuaire. Alors ils éclatèrent de rire, le vieil homme le regard pétillant de malice, le plus jeune ravi. L’éminente position de Kenamon, devenu l’émissaire du premier prophète, n’avait pas instillé en lui le respect de l’autorité, pas plus qu’elle ne lui avait ôté le sens du ridicule.

Souriant encore, le vieux prêtre entraîna Bak dans l’ombre rectangulaire jetée par la demeure du dieu. Les immenses bas-reliefs peints représentant Horus en compagnie de la reine tout au long de la façade faisaient paraître sa silhouette vêtue de blanc plus menue que jamais.

Il examina Bak de la tête au pied et hocha le menton avec approbation.

— L’exil ne te réussit pas mal du tout. Tu es aussi grand et droit qu’auparavant, tu ne manques pas d’assurance, et j’apprends qu’on t’a rendu ton grade. Oui, je dirais que ton père a toutes les raisons d’être fier de toi.

— Comment se porte-t-il ?

— Fort bien, et il mène une vie sereine, quoiqu’il aspire à ton retour dans la capitale.

Kenamon prodigua à Bak les nouvelles dont celui-ci était avide. Il aurait pu bavarder ainsi des heures durant, sans l’affaire Pouemrê.

— Tu sais que je dirige la police medjai de Bouhen.

— Oui, acquiesça Kenamon, souriant avec plaisir. Le vice-roi m’a appris, également, que le commandant Thouti vous a désignés, toi et tes hommes, pour constituer la garde d’honneur d’Amon-Psaro.

— C’est un privilège insigne d’avoir été choisi, toutefois…

Bak exposa les nouvelles responsabilités échues au commandant en raison de son autorité accrue. Il relata sa macabre découverte et confia sa détermination à résoudre le meurtre rapidement afin de pouvoir remonter le fleuve avec la statue sacrée. À la fin, il adressa au vieux prêtre un sourire affectueux.

— Sachant que tu es le médecin envoyé avec Amon, j’envisage maintenant la guérison du prince avec plus de confiance.

— Mon fils, quand je soigne les malades et les blessés, je ne suis qu’un instrument entre les mains du dieu. Le sort de ce garçon, comme de tous ceux que j’ai traités avant et que je traiterai après, dépend d’Amon et de lui seul.

Bak sentit le sang affluer à ses joues.

— Je comprends, mon oncle, cependant j’ai remarqué au fil des ans qu’Amon te sourit plus souvent, à toi et à ceux que tu visites, qu’aux malades soignés par d’autres praticiens.

— Tu es bien aussi impertinent que ton père !

Bak crut voir une lueur amusée dans les yeux du vieillard, mais jugea préférable de changer de sujet.

— Pardonne-moi, mon oncle, mais je ne viens pas seulement pour avoir des nouvelles de mon père et renouer notre amitié. J’ai une faveur à requérir, en rapport avec cet homme que j’ai trouvé dans le fleuve.

— Tu m’intrigues, mon fils. Que désires-tu de moi ?

— C’était un lieutenant nommé Pouemrê, affecté à la forteresse d’Iken. Son père, probablement un haut fonctionnaire, s’appelle…

— Dis-moi que ce n’est pas Nehsi ! s’écria Kenamon en saisissant le bras de Bak.

Le policier se raidit, alarmé par l’appréhension qu’exprimaient les traits et la voix du vieil homme.

— Mais si, justement. Pourquoi cette inquiétude, mon oncle ?

Le prêtre se frotta les yeux comme pour en chasser une vision intolérable.

— Je dois examiner le corps avant d’en avoir la certitude, mais si mes craintes se confirment, son père, Nehsi, vient d’être nommé directeur du Trésor par notre souveraine, Maakarê Hatchepsout en personne.

Bak retint son souffle, stupéfait par la nouvelle.

— Il serait donc l’un des hommes les plus puissants du royaume !

— Pouemrê était son fils unique, Bak, la joie de sa vie. Il ne connaîtra de repos que lorsque sa mort sera vengée.

Bak sentit un frisson parcourir sa colonne vertébrale. La plupart des meurtres étaient des crimes passionnels, faciles à élucider comme l’assurait le commandant Ouaser. Mais si ce dernier se trompait, si le tueur avait mûrement prémédité son acte en s’arrangeant pour dissimuler la vérité, l’enquête la plus diligente risquait de ne pas aboutir. Si tel était le cas, Nehsi attirerait l’attention de la reine sur Ouaouat. Des têtes tomberaient dans le Ventre de Pierres, sinon au propre du moins au figuré, à commencer par celle de l’incapable qui n’aurait pas su arrêter le meurtrier.

 

— Si je pouvais tordre le cou à ce Ouaser ! fulminait Thouti.

Il traversa la salle d’audience, s’approcha de la porte de la cour, fit volte-face et toisa Bak et Kenamon comme s’ils étaient aussi fautifs que le chef de la garnison d’Iken.

— Comment se serait-il douté que Nehsi deviendrait notre nouveau directeur du Trésor ? le raisonna Kenamon, posant sa coupe sur la table basse, à côté du fauteuil que le commandant lui avait obligeamment cédé. La capitale n’a pas dépêché de messager vers le sud. On m’a demandé de répandre la nouvelle durant mon voyage en amont.

Adossé contre l’embrasure de la porte donnant sur l’escalier, Bak dégustait un vin âpre et entêtant, le meilleur de tout Ouaouat. Un fumet d’oignons, de lentilles et de bœuf rôti filtrant de la cour promettait un festin digne d’un dieu, et auquel on l’avait prié. Pourtant, il ne pouvait savourer ni le goût, ni les succulents effluves. Il ne pensait plus qu’à la décision inévitable du commandant et au poids qui pèserait sur ses épaules sitôt qu’elle serait exprimée.

— Ouaser aurait dû attirer mon attention depuis longtemps sur la noble ascendance de Pouemrê, or il ne l’a mentionnée dans aucun de ses rapports. Et maintenant, maintenant que ce malheureux est assassiné, poursuivit-il d’une voix dure, il me tient dans l’ignorance par son silence !

— Sans doute croyait-il que Pouemrê avait signalé son passage ici, comme il était supposé le faire, remarqua Kenamon dans une nouvelle tentative conciliatrice. Il aura supposé que ton scribe principal t’avait avisé de sa présence.

— Admettons ! Cela n’explique pas qu’il se soit abstenu de m’alerter de sa disparition.

Thouti traversa la pièce en sens inverse, pivota, considéra Bak d’un œil sombre.

— Cela ne justifie pas non plus qu’il ait omis de m’adresser un rapport circonstancié sur toute cette affaire par l’entremise d’Imsiba.

Bak était trop impatient d’entendre la décision finale pour perdre du temps en vaines spéculations :

— Souhaites-tu que je me rende à Iken, chef ?

Kenamon lui lança un regard où la préoccupation le disputait à la fierté. Il n’avait pas caché ses sentiments pendant le trajet de la Maison des Morts à la résidence du commandant. Il craignait pour l’avenir de son jeune ami, mais admirait sa noblesse d’esprit.

— Non, Bak, en aucune façon ! répliqua Thouti, ses yeux lançant des éclairs. Ce que je souhaite, c’est que tu accompagnes Amon à Semneh. Mais cet imbécile de Ouaser a rendu la chose impossible. Pars ! Pars pour Iken ! Règle cette affaire une fois pour toutes.

— Je ferai de mon mieux, chef. Cela, je te le promets.

Thouti ôta son bâton de commandement posé sur un tabouret pour s’y asseoir.

— Cette nuit, j’enverrai un messager à Iken, muni d’une lettre te conférant toute autorité sur Ouaser en ce qui concerne la mort de Pouemrê. Cela ne lui plaira pas, mais je ne lui laisse pas le choix.

« Et si ma meilleure volonté ne suffisait pas ? Et si cette fois j’échouais ? » songea Bak. Il avait déjà demandé à Kenamon d’intercéder auprès d’Amon en sa faveur, mais peut-être devait-il présenter personnellement une offrande au dieu. Une oie bien dodue… voire plusieurs.

La main droite d'Amon
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